dimanche 5 septembre 2010

LETTRE OUVERTE D'UNE MÉDIOCRE A SON MINISTRE

Sur le modèle de cette lettre, rédigez la vôtre, modifiez les éléments nécessaires (car chaque situation est particulière) et envoyez-la à cette adresse :
Ministère de la culture
3 rue de Valois
75001 Paris 

Monsieur le ministre,

Je suis française. Je suis artiste plasticienne. Je suis fatiguée.

Vous participez à un gouvernement issu d'un bord politique qui depuis des années détruit l'image de la création, celle des créateurs. Afin de pouvoir mieux détruire la création elle-même.

Ce bord politique a été accusé de « guerre contre l'intelligence » il y a quelques années par de grands esprits lors d'une pétition lancée par le magazine « les Inrockuptibles ». Depuis, certains de ces esprits se sont éteints, d'autres sont las ; la guerre continue de plus belle. Vous y participez. Du mauvais coté de la ligne de front.

Je pourrais choisir de vivre cette guerre symbolique – mais pas seulement symbolique - avec indifférence.

Tous les jours je préfère travailler, sans me soucier du qualificatif prononcé par votre prédécesseur à mon endroit. Ainsi, j'assume pleinement le fait d'être une « médiocre » parmi les « médiocres » tels que les définissait monsieur Aillagon il y a quelques années.

Lorsque je pense à la prochaine exposition de mon travail, ou lorsque je prépare un dossier de demande de subvention pour un projet ou encore lorsque je réponds à un appel d'offre de résidence d'artiste, je ne me pose pas la question de l'image que véhiculent de mon métier des édiles incultes, suffisants et méprisants par le dessous.

Je pense à mon œuvre et à mon public. Il est certes fort peu nombreux selon les modes de calcul de vos services. Il n'existe d'ailleurs peut-être même pas pour vous lorsque j'expose dans les lieux les plus vivants de la vraie création alternative. Mais il existe. Travaillant partout où cela m'est possible dans les marges, je fais œuvre dans la capillarité de la vie.

Je n'ai pas l'appétit du lucre, la réussite me fait horreur quand elle consiste à porter une Rolex. Ces deux dernières affirmations me placent certainement dans une position « antisociale » dans un pays où les gens ont voté pour « travailler plus pour gagner plus ». Mais je suis fière de cette position.

Tous les jours, je travaille. C'est ça être créateur : c'est travailler tous les jours, à chaque instant. Être créateur c'est comme ajouter à la difficulté d'être – inhérente à chacun – celle spécifique d'être créateur. On ne choisit pas. C'est une nécessité intérieure.
Mais tout cela vous le savez, ce sont des lieux communs.

Tous les jours, cela m'exalte et me fatigue. Mais certains jours, je suis très fatiguée. Ce sont les jours où je dois appeler mes "ami(e)s conseiller(s)" des ASSEDIC pour me faire expliquer ma situation, pour essayer de sauver les meubles.
Parce que j'ai la «chance» d'avoir droit à des minima sociaux. Et ceci uniquement parce que j'ai été salariée, «régime» qui semble le seul à avoir la considération des politiques dans ce pays.
Oui, car en tant que plasticienne, je n'ai pas droit à des compensations ASSEDIC par rapport à mon métier qui se trouve à cheval de nombreuses chaises... non musicales.... et je reste très souvent debout....comme nombre de mes amis créateurs des arts visuels.
D'ailleurs c'est la même chose par rapport à ma sécurité sociale (la Maison des Artistes), je suis assujettie car je ne gagne pas assez d'argent pour bénéficier de cette sécurité sociale et être affiliée. Mais connaissez vous Monsieur le Ministre la différence entre un affilié et un assujetti ?
J'ai donc dû m'inscrire à la CMU. Ouf j'ai quand même une couverture sociale !
Dernièrement j'ai déposé mon dossier de renouvellement, mais, oh surprise, on m'a demandé de justifier de mon activité de plasticienne ! Je fournissais pourtant un document émanant des services fiscaux montrant clairement mon activité d'artiste auteur. Et ma situation n'a pas changé depuis l'année précédente...
Qu'est-ce donc ? Les services de sécurité sociale ont pour fonction de vérifier les déclaration fiscales des activités professionnelles des demandeurs de CMU aujourd'hui ? Autrement dit de vérifier si les services fiscaux ont correctement fait leur travail ? J'ai dû me pincer croyant être dans un mauvais rêve. Mais non c'était bien la réalité.


Comme la plupart de mes amis créateurs, depuis 2007 je réponds à de plus en plus de projets et je gagne moins.

Dans l'esprit des éléments de langages véhiculés par vos services, par la grâce de l'union de notre premier magistrat et d'une «joueuse de guitare», on nous a fait croire que ceux-ci – les artistes - étaient dès lors protégés.

Je vous affirme le contraire.

Je viens de vous écrire qu'il m'était indifférent de gagner plus ou moins. Si cette perte de revenu était liée à un projet sociétal de redistribution, je n'en serais certes pas fâchée. Mais ce n'est pas le cas.

Aujourd'hui mon dossier Maison des Artistes, autrement dit la sécurité sociale des auteurs des arts visuels, m'a été renvoyé, demandant des éclaircissements sur ma déclaration annuelle car j'ai déclaré des interventions mais pas de ventes d'oeuvres. Mon dossier d'assujettie est donc refusé. Je dois justifier d'avoir fait mon métier. Ma fatigue a grandi. Suis-je paranoïaque ? Je pense que cet imbroglio administratif fait partie d'une stratégie de nettoyage de mon métier.

J'en viens à la réflexion suivante : dans mon cas personnel, je n'aurais plus le droit de faire mon métier parce qu'il n'est pas assez rémunérateur ?

Un système pervers, dont les règles changent à couvert, dans lequel tout est exclusif, un système qui chasse les créateurs les plus faibles sociologiquement parlant, et qui favorise les plus forts administrativement parlant.

Où se trouvent les créateurs les plus intéressants et créatifs dans cette dichotomie ? Votre réponse m'amuserait. J'ai la mienne.

Je reviens à mon cas personnel (mais qui est malheureusement général) : au jour le jour, je cherche des expositions, j'en fait, je crée, je réponds à des appels à résidences, je monte des projets, des dossiers, je transmets un savoir faire et une pensée dans le domaine des arts visuels (autrement dit je contribue à l'ouverture d'esprit et au développement de l'imaginaire des plus jeunes de nos concitoyens, par là même je contribue au développement de leur esprit critique).
Malgré tout cela, je rencontre CHAQUE ANNEE de plus en plus de difficultés à vivre de mon métier. Je suis pourtant diplômée, doublement diplômée d'ailleurs, deux bac + 5 ne seraient plus assez suffisants aujourd'hui pour exercer ce métier ?
Ce faisant, j'ai le sentiment de vivre une précarité grandissante, une instabilité sociale, un danger de chaque instant qui m'empêche de faire convenablement mon métier. J'en conclus que le système est mauvais et inadapté à notre métier.

En gros : puisque auprès des ASSEDIC, celui qui sait bien « ouvrir sa gueule » obtient d'être un peu moins mal traité, j'affirme que cet état de fait constitue une inégalité de fait entre les gens instruits ou malins et ceux qui ne le sont pas.
Pour élargir le propos : je suis française. « Identité nationale ». Fierté d'être français. Est-ce possible en l'occurrence ?
Non. Je ne suis pas fière d'être ressortissant d'un pays qui méprise autant les fragiles. Je ne suis pas fière de constater que la vie créatrice de mon pays s'écroule parce que ses édiles font le calcul à court terme d'évacuer ce qu'ils ne peuvent pas comprendre et ceux qu'ils ne peuvent pas comprendre.

Vous ne pouvez pas nous comprendre. Mais laissez-nous faire ce que nous avons à faire, participer de la vraie fierté d'un pays comme la France : être un pays de culture vivante, intense et vibrante, même si vous et ceux de votre bord faites tout pour nous précipiter à terre.

Soyez en assuré : la nécessité intérieure fera que, même au sol, je ferai partie de ceux qui y continueront de créer.

De la hauteur de vos sphères, regardez-y parfois, au sol. Dans la boue de votre indifférence il y a une colère qui s'installe irrémédiablement. Vos courtisans ne vous la raconteront pas. Elle existe.

Anna B., le 26 mai 2010