Travail, famille, patrie. Quelle devise éclairante. On ne parlera pas ici de l’identité nationale, de ce faux débat qui consiste non pas à définir ce que signifie être « français » – comme si on pouvait le définir – mais qui par contre cherche bien à imposer ce qu’est un « bon » français (et la notion de « devoirs » envers la patrie). On ne reviendra pas non plus sur la nécessité sociétale de fonder une famille au risque de passer pour un inadapté, un inutile ou – pire – un homosexuel (au passage si l’homoparentalité dérange autant c’est qu’elle fait exploser une norme que les straights considèrent jusqu’ici comme l’un des fondements de leur système de pensée réactionnaire). Et puis, si on ne fait pas de gosses, qui va payer nos retraites ? Qui va assurer notre avenir ?
La belle affaire. Le débat sur les retraites fait rage et le gouvernement impose sa monstrueuse logique comptable. Elle est monstrueuse cette logique non pas parce qu’elle est justement comptable mais tout simplement parce qu’elle ne s’attaque qu’à un seul aspect du problème : le financement des retraites ne concerne que les salariés. Tu travailles ? Tu en chies ? Tu dois payer pour ta retraite, comme les autres. Vous n’êtes plus assez nombreux pour faire vivre un système de retraites par répartition ? Donc vous allez devoir travailler plus longtemps pour cotiser davantage et avoir de plus petites retraites. Avant de passer à un système par capitalisation. Bien sûr que cela se fera. Cela a déjà commencé. Cela me fait penser aux ouvriers de Continental, Michelin, Carrefour ou autre à qui les actionnaires demandent de renoncer à leurs primes, temps de pause, RTT ou augmentations de salaire tout ça pour sauver l’entreprise du marasme. Alors que les prochaines restructurations sont déjà planifiées, que les futures fermetures de sites sont déjà prévues, que la délocalisation ou carrément l’abandon de l’activité sont à l’ordre du jour. Dans une grande école ou une école de commerce on t’apprend que l’activité économique doit croître absolument. Et générer toujours plus de profits. Si ce n’est pas le cas, on l’abandonne. Le facteur humain n’existe pas. Le principe de concurrence fait que l’on a peur de se faire bouffer par l’autre donc c’est à nous de le bouffer. Alors on grossit, toujours plus.
C’est donc au salarié seul de sauver sa retraite. Ce qui revient au travail ne doit provenir que du travail. Le capital n’est pas concerné. Chacun chez soi. C’est ça qui est marrant : le capital se nourrit pourtant du travail. Et il a même tendance à s’en nourrir toujours plus. Mais en retour il ne doit rien lui lâcher. Que dalle. Uniquement un salaire qui est censé refléter sa juste rémunération. Au salarié ensuite de se démerder avec ça. Ça ne suffit pas ? Il n’a qu’à travailler davantage. Il n’y a plus assez de salariés pour payer les retraites de tout le monde ? Et c’est la que l’on touche à l’aspect le plus humain du problème.
Pourquoi ces manifestations contre le rallongement de la durée de cotisations et le repoussement de l’âge du départ à la retraite ? Pourquoi défile-t-on dans les rues ? Pourquoi veut-on « sauver » les retraites ? Dans une société où le travail est la première des valeurs fondamentales, travailler est pourtant un véritable calvaire. On le supporte ce calvaire parce qu’il y a les bouches à nourrir, le loyer à payer, etc. On supporte ce travail parce que sans travail on est marginalisé. Quel paradoxe de se faire quotidiennement laminer par quelque chose qui est pourtant un incontournable de notre société et qu’en tant que tel on devrait donc respecter. Donc on supporte. Plus ou moins mal. La pénibilité du travail, certes on en parle un peu mais il ne faut surtout pas que le débat déborde sur les notions de productivité et de rentabilité. Encore une fois le facteur humain ne compte pas tripette. Il ne reste au salarié que de s’accrocher à l’espoir de la retraite. La retraite, ce moment de sa vie où il ne sera en théorie plus obligé de travailler.
La vraie question ce n’est donc pas celle de la retraite (et de quand et combien) mais bien celle du travail, de ses conditions et de son obligation. On ne peut pas continuer – durant une vie entière – à faire autant de sacrifices, à foutre sa vie en l’air avec le faux espoir d’avoir un jour des vacances éternelles tous frais payés. La vie ne commence pas à 65 ans pas plus qu’elle ne commençait à 60. La vie c’est maintenant et la vie ce n’est certainement pas un travail qui vous accapare complètement et vous donne même des sueurs froides quand vous n’y êtes pas. On prend un travail – ne parlons même pas de choisir un métier – que pour ce qu’il a de rémunérateur, même faiblement. C’est comme ça que l’on se tape des boulots de merde payés une misère, pour pouvoir se payer son kilo de pâtes. Par défaut. Il est important ce débat sur les retraites. Mais il est temps également de mettre le travail sur la sellette. Puisque c’est de là que tout part et que tout ce tient.
Haz.