Dans les bureaux successifs que j'ai pu pratiquer, il y a toujours eu un problème avec ça. La gestion commune du peu d'air qu'il nous est donné de respirer. Une personne par pièce, avec sa fenêtre? Jamais vu ça, à part pour la direction. En général, c'est plutôt autant qu'on peut caser d'ordinateurs sans que les plombs pètent – ce qui arrive quand même parfois.
On va faire un petit jeu. Je jette en vrac quelques éléments d'ambiance; imprégnez-vous.
Le fax ronronne, les unités centrales turbinent, l'écran plat n'est pas encore passé par là. Hop, je grimpe sur ma chaise à roulettes pour choper une ramette. Thierry en chaussettes mange un grec. Il fait un panier avec son coca dans la poubelle débordante. Jean-Paul sue sur un plan à rendre pour avant-hier, il a une chemise auréolée sous les bras. En passant nous voir, le boss se prend les pieds dans le fil du téléphone et arrache la prise murale. On est en mars, le premier soleil de printemps toque au carreau derrière les stores noirs.
Alors, comment vous sentez-vous? Qu'auriez-vous envie de faire à ma place? Mmm? Faire une pause pipi, ça je l'ai déjà fait quatre fois pour pouvoir respirer le bon air frais des WC. Non, bien sûr, vous avez deviné. OUVRIR LA FENETRE. Rien que de le dire, ça soulage, n'est-ce-pas.
Il y a juste que la pièce est équipée d'une hideuse clim sous-puissante qui prend un peu d'air à 30 et le recrache à 16 juste à côté. Le même (air). Alors que dehors il fait frais, et que l'air sent si bon.
« -On ouvre la fenêtre ? », je demande.
En effet, il n'y a qu'une seule fenêtre pour 5 personnes. Il s'agit donc de LA fenêtre. On pourrait même lui donner un petit nom. Pourquoi pas Justine.
« - Non, y'a la clim.
-Eh ben on peut éteindre la clim et ouvrir Justine?
-Ouvrir quoi?!!
-Ah non on va pas éteindre la clim, il fait trop chaud! »
Ah ça, pour être contrariée, je suis contrariée. Rien n'est pire dans une démocratie que d'avoir la majorité contre soi. Et pourtant, c'est bien comme ça que doivent diriger les hommes politiques. Comment font-ils? me demandé-je. Car je veux à tout prix arriver à mes fins. C'est vital, j'étouffe, je bous, je me meurs, mes collègues ont tort mais sont trop obtus pour le comprendre (tiens, ça me rappelle le traitement médiatique du non au référendum).
Sur ces entrefaites, cinq bonnes minutes ont bien dû s'écouler pendant que mon esprit vexé battait la campagne. Tous ont repris leurs activités avec autant d'ardeur que peut apporter le fait d'avoir le dessus dans une prise de bec. Dehors, le premier papillon de l'année virevolte. C'est le top départ. Prenant mon courage à deux mains, je décide d'agir comme un ministre de l'éducation en juillet (technique dûment éprouvée). Je me lève, j'ouvre Justine, j'éteins la clim.
Silence dans ma tête.
Personne n'a rien remarqué, personne ne remarquera rien. Et je respire la petite odeur de printemps qui fait palpiter les post-it autour de mon écran, tels les pétales d'une fleur électronique.
Quelle héroïne!