mercredi 5 octobre 2011

Le crépuscule de l'humanité

Hier, il y avait un débat autour du livre "Résister à la chaine", de Christian Corouge et Michel Pialoux, respectivement ouvrier Peugeot à la retraite, et sociologue (livre publié chez Agone).

Le débat était introduit par un documentaire d'une cinquantaine de minutes sur l'usine PSA Peugeot à Sochaux. On a beau savoir, se tenir informé, ne pas être dupe, se prendre les témoignages d'ouvriers en pleine gueule, ça fait toujours mal. C'est cru, ça ne prend pas de pincettes, c'est sans détour. L'ouvrier n'enrobe pas ce qu'il a à dire dans un jargon, il parle de ce qu'il doit faire, des directives qu'il doit suivre, et il n'a même pas à expliquer les conséquences de toute ça, elles sont évidentes, criantes, inévitables.

Quand l'absurdité des ordres était décidément trop évidente, certains ont ri dans l'auditoire, jaune certes, mais ri. Je ne trouvais pas ça drôle, j'avais envie de hurler. Quand un ouvrier nous expliquait comment le patronat a pris exemple sur Toyota pour faire en sorte que la journée de 8 heures soit 8 heures de travail effectif, sans une seule seconde de répit, je n'avais pas du tout envie de me poiler.  Quand un ouvrier nous explique qu'il est usé, exténué, qu'il a perdu tout le sens de son travail, qu'il n'a même plus le lien social dans son usine, ça ne prête pas à sourire. Quand tu entends cet ouvrier te parler du suicide de ses copains, et que lui-même a fait une tentative, ça te passe toute envie de te marrer.

Les témoignages d'ouvriers, à qui on resserre toujours plus l'espace, à qui on retire toutes les secondes de répit dans la journée, on leur ôte le statut de personne, d'individu, d'homme. 
On nie la nécessité de souffler. 
On nie l'impact psychologique. 
On nie la détresse et la souffrance. 
On nie l'humanité.

Pire que ça : on ne la nie même pas, on en a rien à foutre, on le sait, et on va toujours plus loin dans l'avilissement de l'autre, on trouve des solutions toujours plus élaborées pour couper tout lien humain, donc toute envie de révolte.
Et enfin pire que ça : les ouvriers, travailleurs, salariés, fonctionnaires, interim, précaires, sont persuadés qu'ils ne peuvent rien contre cette effroyable machine. Ils en ont oublié que derrière les directives, les normes, les ordres, les machines, il y a des hommes.

On en peut pas tuer, d'un coup de fusil, son patron, ce n'est pas moral, ce n'est pas légal. 
Mais lui peut vous tuer à petit feu, on peut vous pousser au suicide sans remord. Il a la loi pour lui, il a même la bénédiction de toute la classe dirigeante, tant qu'il ne tient pas lui même le fusil qui vous explosera la cervelle, tant que ce n'est pas lui qui vous passera la corde au cou. Loin des mains, loin des yeux, loin des conséquences. Tous applaudissent ce génocide à échelle planétaire.

La morale et le droit n'ont rien à voir avec l'éthique. Le pardon religieux n'existe que pour pouvoir commettre l'indicible, et le fric est en tête de toutes les religions. Dépersonnalisé, immatériel, vaporeux, le capital, avec ses normes et ses lois, maitrise absolument tout et de façon divine : c'est le destin, la fatalité, on n'y peut rien, Il est là, c'est tout, à nous de nous adapter, comme la main de l'ouvrier à la pince, quitte à devoir souffrir des carpiens toute la fin de sa foutue vie. On ne peut pas avoir de prise sur Lui, mais lui a une emprise totale sur nos vies.

Mais on n'en oublie que comme un dieu, il n'existe que si on s'en remet à lui, que si on nie notre indépendance et notre humanité.

Dahlia.