Dans mon coin, aller au boulot, ça s'appelle "embaucher". Et en sortir le soir, "débaucher". Ça peut prêter à confusion dans d'autres contrées, alors je préfère préciser.
Quoi de mieux que d'embaucher à pieds? Au petit matin, se laisser porter par ses pas qui tapent le trottoir froid, ou mouillé, ou givré, et/ou crotté. (Les talons claquent; les baskets tapent). Démêler les fils de ses écouteurs, et marcher en rythme parmi quelques rues connues par cœur. Caresse le chat. Tiens, les pommes sont bientôt mûres. Trébuche.
On peut aussi prendre le vélo. Ah, c'est l'étape au-dessus. Les distances en ville fondent, sur un vélo. On ne gratte pas sa selle au petit matin. Et en campagne, l'été, c'est le bonheur assuré. Il fut un temps où je faisais 12km le long de la rivière pour aller au bureau aux beaux jours. J'arrivais en même temps que le bus, d'où descendaient les habitués éberlués en me reconnaissant – joues roses et glacées, chandelles sous le nez.
Eh oui, le bus, j'ai pas mal donné aussi. (Je vous passe le car scolaire, ça remonte un peu trop). C'est déjà plus tant le bonheur. Les jours avec, on papote ou on sieste, et les jours sans on fulmine ou on fait du stop.
Étant étudiante, j'ai donné dans le train régional aussi. Ça aurait pu être bien si je n'habitais pas aussi loin de la gare.
Je pensais donc avoir fait le tour, être experte en transports, maîtriser le sujet. Erreur. Il manquait quand même le principal à mon tableau de chasse (à en croire les bouchons sur la rocade), bien sûr j'ai nommé: L'AUTOMOBILE!!!
Applaudissements. Vous pouvez vous rasseoir.
Dans un but donc purement expérimental, vous vous en doutez bien et sans aucune autre raison personnelle, j'ai déménagé à 35 kilomètres de mon lieu de travail. Comme ça, juste pour voir. Après avoir bien vérifié qu'il n'était aucunement possible de rallier les deux points en transports collectifs en moins d'une demi-journée minimum. J'ai ensuite cherché du travail à proximité de ma nouvelle maison, afin de m'assurer qu'il n'y en avait pas et que je devais bien me taper la route tous les jours. J'ai enfin téléphoné à mon banquier en lui demandant de me mettre à découvert, afin de ne pas être tentée de me la couler douce sur les 80% de SMIC de mon conjoint.
Ceci étant, je suis donc entrée dans ma petite auto, la bouche en cœur à 7h30, non sans avoir déposé à la crèche notre fille qui, heureusement, ne demande que ça.
Aïe aïe aïe. Quelle ne fut pas ma déconfiture. Quelque part, c'est marrant, je m'en doutais. J'ai mis une heure. Entre les feux et les ralentissements, perdue dans le flux de phares, des larmes me piquaient le nez. C'est comme quand le train qu'on attend ne vient pas, sauf qu'on ne peut pas parler avec son voisin; sauf que le voisin n'est plus compagnon de galère mais obstacle à doubler.
Triste j'étais. A force, on rencontre pas mal de gens dans la même situation, les tuyaux s'échangent – tu passes par là, ça rallonge un peu mais ça évite tel bouchon – on essaye même de faire la route ensemble, ça peut alléger le poids de ces deux heures perdues tous les jours. Mais sans faire vraiment passer la pilule...
Heureusement que j'ai testé pour vous! Comme ça vous pouvez vous passer de tenter par vous-même. Ah, quel dévouement, de rien, de rien.
Héroïne en CDI