jeudi 9 mai 2013

De la liberté d’échouer

Depuis petite j’ai toujours su ce que je voulais faire et je faisais tout pour réussir. J’ai fait des études, j’ai deux masters, j’ai fait des stages dans des entreprises prestigieuses. J’ai pu avoir la sécurité de la part de mes parents, de pouvoir accepter des stages non-rémunérés, nombreux, beaucoup trop nombreux, et surtout de pouvoir me consacrer à mes études sans penser à comment remplir le frigo.  Oui, j’ai été extrêmement bien lotie par rapport à la plupart des étudiants. En échange, on attendait de moi le meilleur. Que je réussisse mes examens, que je sois parmi les premières. Je n’ai pas pu faire une terminale L, parce qu’en province, c’est pour les ratés et je devais donc aller en S. J’ai accepté.

Et puis voilà, fin des études. Je souhaite faire de la recherche, mais ce n’est pas ce qui est attendu de moi, et puis après 7 ans sur les bancs de la fac, on attend autre chose. Que j’entre dans la vie active. J’y vais, j’essaye, je cherche différents boulots. Les premiers mois, je travaille pour trois entreprises différentes, à la journée. Je dois être toujours prête au cas-où on m’appelle. Puis je trouve un autre travail en CDI, payé 1500 euros net par mois. La cadence à l’air terrible, mais c’est une boite jeune avec possibilité d’évoluer. J’accepte, je déménage à la suite de la signature de ma promesse d’embauche. Je travaille de 8h30 à 20 heures tous les soirs, sans pause, mais ce n’est pas grave, j’avais été prévenue. Et puis viens le moment de la signature du contrat. Où le salaire indiqué est de 1500 euros brut. Malaise. Puis discussion (hurlements) avec le patron. Au bout d’une demi-heure, il me dit : « tu signes ou tu pars ». Je le regarde, je prends mes affaires. Je pars. Il me rattrape, modifie le contrat, se fait mielleux : « nous nous sommes mal compris » me dit-il. Très bien. Je reste alors. Et je signe.

Là, tout va de mal en pis. Les horaires sont infernaux, la cadence me tue et ce métier pour lequel j’ai tant étudié en vient à me débecter. Les collègues sont dans le jus, ne comprennent pas pourquoi je rechigne. Ils ont encore plus de travail parce que moi, je refuse d’entrer dans le moule, de ne pas remettre en question les méthodes employées par ce patron. J’ai une vie, un copain, je souhaite aussi le voir et ne pas passer mes week-ends à récupérer, à dormir. Je pleure un jour sur deux. Mais ces collègues me disent : « non, mais tu sais, il faut le remercier. Sans lui, on ne travaillerais pas ». Conneries. Je craque. Je démissionne au bout de trois mois, qui m’aurons semblé 3 ans. Ma famille, heureusement, me soutient. Et là, je respire. J’ai échoué. Je l’ai pris en plein visage cet échec, entre mes aspirations et celles de mes parents. Se retrouver chez soi, pleine de questions, de doute sur son avenir et le regard des autres.

Mais, un temps plus tard, je me suis rendue compte de quelque chose. Oui, j’ai échoué. Mais, j’ai vu ce qu’étais réellement le conflit de classe, quand on fait signer un mi-temps à un employé plein temps en le menaçant de le mettre dehors s’il refuse. J’ai vu ce qu’étais de tenter de virer un homme en congé parental parce qu’il refusait de signer une prolongation de période d’essai en CDI antidatée d’un mois. Je me suis retrouvée au milieu de nulle part, sans mes amis et sans perspective d’emploi. Et j’ai respiré. Comme quand j’étais enfant, je me suis remise à l’écriture. Cela va faire deux mois maintenant. Je redécouvre ce plaisir de raconter une histoire, de la voir se développer dans son cerveau, de se donner les moyens de la raconter. Un temps. Parce que malgré tout, être au chômage est une honte. Être au chômage et ne faire que des choses artistiques et littéraires, un cauchemar. Quand on me demande ce que je fais, je n’ose pas dire « j’écris un roman ». C’est prétentieux, n’est-ce pas ? C’est quoi, la bohême ? Tu te prends pour qui, un nouveau Victor Hugo ? Je n’ose pas le dire. Alors je dis que je ne fais rien et les gens me regardent avec commisération. Mais je ne fais pas rien. Je réfléchis. Je lis des romans et des études sociologiques. J’ai fait un pas en dehors de la société du travail et je la questionne. Je la refuse, je la contourne, je me demande pourquoi et comment nous en sommes arrivés là, à cette situation où il est plus important de travailler que de savoir le nom des plantes. Alors, oui, j’ai échoué. Mais en ce faisant, je suis sortie de ce système étude-travail-argent. Je vais travailler à nouveau, mais cette fois-ci en tant que serveuse, à nouveau, comme je l’avais fait il y a trois ans. Et pour vivre. Vivre. Mettre de l’argent de côté et partir à l’étranger. Ou mettre de l’argent de côté et puis m’arrêter à nouveau, pour continuer d’écrire. Parce que je suis hors du système et que je n’ai plus envie de perdre ma nouvelle liberté.

D.