mardi 26 avril 2011

Héroïne En CDI, épisode 9 : 22 juin

Quel drôle de titre, 22 Juin. Que se passe-t-il le 22 Juin? Eh bien, c'est le lendemain du 21. Et tous les ans, c'est la même histoire... J'ai beau grandir, ça ne passe pas. Je sais très bien que je dois me lever le lendemain, et me voilà pourtant, galopante au cœur de la nuit avec les derniers zonards et tapeurs de djembe, saignant sur ma gratte, irrémédiablement BOURREE. Se coucher? Se pas coucher? Pour l'heure peu m'importe, c'est au petit matin que la falaise à gravir se dessine, au bon gros fusain. En général, j'arrive à trouver quelques bonnes prises et, bon an mal an, à me hisser jusqu'au plateau-repas. Des fois, c'est le drame. Heureusement que j'arrive en premier au bureau, c'est plus discret pour gerber. Ça en fait, c'est la petite intro anecdotique pour faire une accroche rigolote sur mon sujet du jour, l'alcool au boulot (hein, que vous avez rigolé).


Alors, il y a deux choses différentes: arriver au boulot tout confit parce qu'on s'amusait fort et qu'on n'a pas vu le temps passer (cf. ci-dessus), ou bien boire exprès juste avant ou pendant le boulot pour le rendre supportable et relâcher la pression.

Je lance un petit jeu: trouve qui appartient à quelle catégorie parmi les personnages décrits ci-après, issus de mon entourage proche ou lointain... Laurent vient dêtre embauché et conformément aux us de sa précédente entreprise, il garde dans son placard un magnum de whiskey. Il propose de temps en temps des coups dans des gobelets plastiques pour le café.

Nicolas joue du tuba dans une fanfare. Devant son écran, il fait des siestes en gardant la pose. Seuls ses yeux sont clos, et son menton fait des piqués. Une fois, un client en visite s'est pris un gros vent en lui tendant la main; c'était comme saluer Marylin au musée Grévin. Il était pourtant plus jeune mais lui a bien fait sentir son mépris.

Toute l'équipe de la boîte de travaux publics mange au même restau le midi, dans le village à côté de la route qu'ils refont, par 0°C. Le menu est très complet: buffet d'entrées, plat, fromage, dessert, et vin à volonté. Ces quasi-smicards claquent 20% de leur paye pour se tenir chaud de l'intérieur. Parmi eux, un intérimaire suit le mouvement et manquera perdre ses deux jambes, écrasées par un recul de machine sans visibilité.

Un midi, j'ai accompagné Tonio à Auchan pour acheter une bonne bouteille de whiskey pour ses 20 ans, le soir même. Il me soutenait qu'il allait la boire tout seul, que ça le rend pas malade, ouais il l'a déjà fait plein de fois, il connaît. Le lendemain, c'est sa mère qui appelle et moi qui décroche. Elle pense qu'il a dû prendre froid en allant avec moi à Auchan hier. Je lui confirme qu'il y avait un vache de vent glacé sur le parking.

Philippe a de fortes responsabilités mais le matin, il est de méchante humeur, teigneux et aboyeur. Le midi, il commande en apéritif deux bières d'un coup (pas de temps à perdre), et une bouteille de rouge avec le plat – pas n'importe lequel car il est membre d'un club d’œnologie très select, comme tous les clubs d’œnologie. C'est le moment où on peut l'entendre parler du temps de ses débuts, et raconter qu'il buvait 10 pastis tous les soirs avant de partir du boulot (faut croire que ça doit aller un peu mieux alors). En début d'après-midi il est bien plus jovial mais aussi moins fiable. Ses collègues ont appris à prendre en compte ce facteur à part entière.

Je n'ai pas d'exemple féminin à fournir, je vais pas en inventer.
Yacine est manœuvre et sans une grande tasse de gnôle, il est incapable d'enfourcher sa mobylette pour faire ses 15 bornes au matin. Il y a quelques années il était plus axé sur le haschich mais de sérieux problèmes cardio-vasculaires l'ont forcé à arrêter (pas persuadée que ce soit beaucoup mieux maintenant). Il ne boit pas d'eau mais du vin, et porte des bidons et des plaques de plâtre toute la journée. Il attend la retraite; plus que dix ans.

Hervé a un nez couperosé et fume des cigarillos. Il a été commercial pendant des années avant une 'mystérieuse' reconnaissance d'incapacité professionnelle, avant de se reconvertir. Lors des pots de départ il ne franchit pas le seuil de la salle où se versent les bulles ; il prend sa sacoche et rentre chez lui manger avec sa femme. Il attend lui aussi la retraite.

Il est 5 heures. J'ai choisi: ne pas me coucher. Et je reprends une finkbraü en honneur à ces victimes personnelles d'une vie professionnelle de souffrance.